Il y a des artistes que l'on est toujours heureux de retrouver. Que ce soit dans sa platine ou en interview, ils ne déçoivent jamais. C'est le cas pour Dominique A. Un vrai bonheur d'écouter « La Musique » et un vrai régal de l'écouter en parler. Comme un métronome, il donne le tempo à un entretien, et comme un chef de fil, il donne une leçon à la chanson française.
Comme vous faites partie de la même chapelle, je voulais savoir si vous aviez vu la prestation de Damien Saez aux Victoires de la musique ?
Dominique A : «Non, j'ai eu vent mais je n'ai pas vu. On est rentré dans la confrérie de ceux qui ont essayé de faire quelque chose ce soir là (rire) ? »
Pour commencer à parler de votre album, je me demandais si vous vouliez prendre la place de Jacques Ségéla avec votre formule : « La Musique, c'est la Fossette version Red Bull » ?
Dominique A : «C'est vraiment malheureux d'avoir sorti un truc pareil, mais j'assume (rire). C'était une boutade pour anticiper la réaction des gens. C'était une façon de dire que ce dernier disque était moins anémique que « La Fossette ». »
Heureusement que vous vous rattrapez car j'avais pour crainte que le système sanitaire français vous interdise la vente de votre album !
Dominique A : «Ce n'est pas une version aspartame. Plutôt version taurine et tuti quanti.»
Peut être, qu'avant même de mettre le disque dans la platine, il est indispensable de s'arrêter sur ce titre et surtout sur l'article « LA » qui précède Musique. Est-ce une forme de musique totale ?
Dominique A : «Non ! Non ! Non ! je ne voyais pas du tout le truc dans ce sens là ! C'était par rapport au fait de recentrer le débat en se posant cette question « Pourquoi suis-je toujours là ? ». Apparemment pour la musique et rien d'autre. De toute manière, j'aime les titres évidents, qui sont à la fois très généraux et chargés de tas de choses, où chacun y met ce qu'il souhaite. C'est comme « L'Horizon » l'un de mes précédents albums : c'est tellement vague et englobant comme terme. Qu'il y ait un disque ou pas, cette musique existe. Je vous rassure, il n'y avait pas une volonté de délivrer une version définitive de la musique. »
On dit souvent que les solutions que l'on cherche en parcourant le monde se trouvent dans le port qui nous a vu naître ?
Dominique A : «En fait, il y a chez moi quelque chose qui fonctionne bien : c'est le fonctionnement autarcique. Seul face à la machine. En tout cas, tant que la machine me demande trop de compétences. J'aime bien avoir un rapport brut et rentre dedans par rapport à l'enregistrement. Je m'étais acheté un 32 pistes numérique pour ce disque et quand je me suis rendu compte que c'était beaucoup plus simple que ce que je m'étais imaginé, j'y suis allé comme au temps du 4 pistes. Je dirais que mon comportement n'a pas vraiment changé. C'est-à-dire que je suis face à ce genre d'objet dans le travail très rapide. Il faut que ça aille vite. J'ai une espèce d'excitation et de jubilation. Je ne suis pas dans une recherche sonore perfectionnée. Le retour aux sources est rendu possible car il se fait en bonne compagnie aussi. Je savais que le disque serait mixé et qu'il ne resterait pas en l'état, dans sa situation d'enregistrement brut, à savoir : tout en direct dans la machine y compris les guitares électriques. Les choix de sons devaient être simples et à la fois radicaux. Je savais qu'au port m'attendait un compagnon qui s'appelle Dominique Brusson, et qu'il allait prendre les choses en main. La marchandise une fois déballée allait être transformée. Je lui ai demandé de s'amuser avec le matériel. Il pouvait aller franco avec les réverbes, les saturations, les effets. Il y avait des fois où en enregistrant, je pensais déjà à ce que Dominique allait faire avec tel ou tel son. Je travaillais sur des sons doux afin qu'il les tordent pour en obtenir quelque chose de bien. Ce qui m'a plu, c'était de ne plus être du tout dans le processus de contrôle.»
Quand vous enregistrez vos démos, j'aimerais savoir qui sont vos juges de peine et comment vous tenez cet engagement brut jusqu'au pressage de l'album ?
Dominique A : «Les gens de la maison de disque, les gens du management et Dominique Brusson. C'est toujours la même histoire du mieux qui est l'ennemi du bien. Je ne voulais pas revenir avec un disque qui sonne « home-studio ». Certes, le disque est produit de manière domestique mais le coté domestique n'était pas un problème. L'idée c'est que, lorsque l'on est seul face à l'enregistreur, il y a des choses qui sortent, des choses qui sont impossibles quand se trouvent là plusieurs personnes et le regard des gens. Après, Dominique a eu toute la liberté pour abattre des cloisons, pour repousser les murs.»
En écoutant le titre inédit « Immortels » sur Myspace et sans rien connaître de votre projet, j'avais l'impression que la chanson était hyper produite, quelle ne fut pas ma surprise en apprenant votre démarche ?
Dominique A : «Ce sont des commentaires qui m'ont fait marrer quand j'ai lu les commentaires des gens réagissant sur cette chanson. Avant le mixage pourtant, je vous jure que c'était un chantier pas possible. Il y avait un coté bricole. En passant du temps en studio et sans rien transformer à part un clavier qui traîne, il y a eu un véritable travail. Sur toutes les chansons, mais là particulièrement. L'idée, c'était de faire une symphonie de poche. On échappe à ce coté brinquebalant. C'est un titre qui vient démentir le premier titre « Le Sens » qui a le coté de mes débuts. C'était limite pour apporter une espèce de démenti. »
« La Fin d'un Monde » débute aussi très roots avec votre voix en sourdine ?
Dominique A : «C'est un dictaphone. En l'occurrence, c'est même pas un essai que j'aurais enregistré pour le disque et que j'aurais livré au public. Je l'ai enregistré avec la chanson pré-enregistrée. Il fallait pour que ça colle au niveau du tempo, un arrangement. Ce son là n'est pas du tout une manière de faire genre « voyez le cheminement du départ » et « voyez ce qui sonne à l'arrivée ». Ce début sur dictaphone n'est pas la source du titre. »
J'ai été pris à mon propre piège !
Dominique A : «Merci car c'est fait pour (rire) ».
Cela fait quelque temps que vous appuyez vos compositions par l'entremise de la guitare, retoucher un clavier pour créer change quoi ?
Dominique A : «Je suis vaguement guitariste mais pas du tout claviériste. Je ne sais pas jouer du clavier des 2 mains, aucun synchronisme. C'est une approche très tâtonnante et pourtant j'ai plus d'idées qu'avec la guitare. Je n'ai pas l'impression que cela modifie ma manière d'écrire. »
En parallèle de ce choix musical, je ne vous ai jamais senti aussi à l'aise dans l'écriture pour un format chanson ?
Dominique A : «C'est fort possible. Bizarrement, j'ai essayé d'être moins exigeant sur le texte. D'aller dans des choses plus jetées. Avec 2, 3 strophes, sans rentrer dans les détails en étant plus concis. Ce n'est pas de la paresse ou de la nonchalance, mais accepter de ne pas aller trop loin pour que le texte ne parasite pas la musique. Ce n'est pas du storytelling avec du son. C'est ce que j'ai pu faire sur « L'Horizon » à la limite. Je ne renie pas ce disque car c'était exactement ce que je voulais. Mais là je tenais à rester vague. Dans les situations aussi. »
En écoutant « Des Etendues » j'ai l'impression que cette chanson aurait pu se retrouver sur un album de Jeanne Balibar autant que sur le votre, faites vous le distinguo entre vos chansons et vos chansons proposées aux autres ?
Dominique A : «Je pensais à Gainsbourg en faisant cette chanson. Gainsbourg n'est pas une référence absolue pour moi, mais cette chanson rejoint des morceaux antérieurs comme « Ces yeux Brûlent ». Un rapport ludique et détaché. Je voulais cette rythmique un peu mole très années 70. Exploitée par d'autres comme Air ou Peter Van Pohl. Après oui, je fais une distinction bien précise sur les morceaux qui sont pour moi ou pour les autres. à part quand je refourgue un titre pour moi à quelqu'un d'autre (rire). Mais franchement oui, par rapport aux chansons écrites pour d'autres, je me place de manière à entendre leurs voix en priorité. J'aime beaucoup aussi avoir des indications précises et qu'on me fixe les limites. Le son de leurs voix + ces limites me donne un cadre de travail plus confortable que contraignant. »
Vous parlez à un moment du disque qui pourrait vous permettre d'être aimé par ceux qui ne vous aiment pas, tout d'abord qu'avez-vous déjà entendu comme reproche venant d'eux et est ce nécessaire de se faire aimer de ceux qui ne le méritent pas ?
Dominique A : «(rire) J'aurais du rajouter votre dernier argument. L'important, ce n'est pas d'essayer de les convaincre de vous aimer mais plutôt de ne pas leur offrir des arguments pour vous faire du mal encore plus. Détourner certaines attentes ou certaines évidences. Je considère qu'à partir du moment où vous avez fait plus de 2 disques, vous êtes fatalement une caricature de vous-même. Essayer dans la mesure du possible et sans se trahir, de jouer avec les clichés de vous-même. L'idée récurrente de convaincre, c'est très bizarre chez moi, je devrais m'en foutre comme de l'an 40, mais il y a une part en moi qui ne l'accepte pas. Je considère que je fais de la musique accessible pour tous et il y a une frustration que ce soit sans arrêt que l'image envoyée n'est pas la réalité. Ce que j'ai voulu faire sur ce disque c'était de faire quelque chose d'énergétique (d'où le Red Bull).»
Peut on dire que « La Musique » est un disque qui vous a fait peur quelque part et qu'il est responsable de « La Matière » ?
Dominique A : «Non, « La Matière » c'était un projet que j'avais dès le départ qui devait être proposé uniquement sur internet et qui est devenu un projet bis. J'ai toujours ce besoin de matérialiser la musique et la faire passer par l'objet. Je suis ravi que cela fasse l'objet d'une édition spéciale. « La Matière » c'est le versant plus sinueux, plus expérimental. Je devais faire des choix de track-listing et ce fut des drames intimes pour le choix des chansons. Finalement tout s'est bien organisé sur le tard. En me faisant violence, avec cette idée de faire un disque officiel efficace, je suis arrivé à faire un disque qui a une personnalité propre, qui n'est pas un doublon de l'autre.»
J'aimerais savoir si vous considérez qu'un enregistrement d'album est une forme d'exercice d'endurance ?
Dominique A : «Non car cela ne fait pas mal (rire). Je ne souffre pas quand j'enregistre. L'endurance, c'est quand on doit s'accrocher, faire quelque chose de fastidieux et je n'aime pas cette idée. Je laisse les choses aller. Les chansons les plus durables sont faites dans des conditions particulières, dans l'instant. 5 minutes plus tard ce serait trop tard. Ma création est tributaire du moment.»
Comment allez vous traduire cet album sur scène alors que vous l'avez enregistré seul ?
Dominique A : «Paradoxalement, c'est un disque fait seul mais impossible de le jouer seul. En groupe, on va se baser sur les fonds de claviers et les rythmiques qui seront joués par un batteur car il est hors de question pour moi de jouer ça sur un ordinateur avec des programmations. Mine de rien, il y a du monde sur les pistes (rire) dans le sens où il y a pas mal d'arrangements, de parties de claviers qui s'emboîtent les unes dans les autres. »
Pour terminer, n'avez-vous pas l'impression de prendre le pain de la bouche des petits grattes papier dans mon genre en écrivant dans TGV Magazine ?
Dominique A : «(rire) Je vous rassure une place est à prendre à partir de juin. J'aime bien écrire et c'est difficile de refuser. Dieu sait que lorsque j'étais plus jeune, je détestais les journalistes qui faisaient de la musique alors voilà, par esprit de contradiction, je suis un chanteur qui joue au journaliste.» |